Interview reccueillie par Jérôme Hémard
Père PEDRO : "Je suis une épine qui dérange"
Considéré comme le digne successeur de l’abbé Pierre, le prêtre insurgé PEDRO était mercredi soir à Wassigny (02). « Si je suis ce soir à Wassigny, c’est qu’il y a sur place une solidarité avec des gens qui savent partager et qui sont sensibles à la pauvreté. »
Le prêtre, arrivé en Europe pour quelques semaines et reçu par le Pape François en début de semaine dernière, évoque les injustices qui le révoltent avec le franc-parler qui le caractérise.
Votre combat reste celui de la lutte contre la pauvreté ?
La pauvreté est un scandale et une honte. J’ai une expérience de plus de trente ans au service de la rue et des gens qui vivent dans des décharges. Cela me donne une certaine autorité pour lever la voix et défendre les enfants, les femmes et les personnes âgées.
Vous revendiquez votre côté insurgé ?
Bien sûr que je suis un insurgé, mais pas avec les armes mais avec mon cœur qui délivre un message de justice, de solidarité, de fraternité et de partage. L’image que j’ai de l’être humain me pousse à m’insurger.
Pour convaincre les pays les plus riches à aider les plus pauvres, il vous faut avoir une foi intacte depuis votre engagement pour toujours y croire ?
Avec les nouvelles connaissances que j’ai et les nouveaux savoir-faire que les pays riches comme la France ont et qu’ils ne partagent pas assez vite avec Madagascar, oui ma foi évolue mais elle me pousse toujours. Jusqu’à la fin de ma vie, je continuerai à travailler et à me battre.
Les hommes politiques vous aident ?
J’essaye de réveiller les consciences de ceux qui ont demandé à être élus, qui ont supplié les citoyens. Mais une fois élus, ils ne font rien, ça s’appelle du mensonge. Moi je suis une épine qui dérange les grands de ce monde et ce qu’on a fait durant toutes ces années à Madagascar ne peut pas les laisser indifférents.
Quels sont vos besoins à Madagascar ?
Les besoins sont multiples avec 14 000 enfants scolarisés il faut penser à tout, surtout avec 500 nouvelles naissances par an. Quand on a construit une ville, les besoins ne s’arrêtent jamais.
Vous aidez les pauvres mais en aucun cas ne les assistez, c’est votre philosophie ?
Mon message, c’est le travail, l’école et la discipline. Je n’assiste personne. Je cherche des aides pour des gens qui travaillent et qui méritent un salaire.
Quel message vous a délivré le Pape la semaine dernière ?
Il m’a dit : « Prépare la relève » et me demande de continuer à m’engager auprès des plus pauvres et des jeunes. J’ai vu un pape d’une grande humilité et simple, c’est sa force. Moi je travaille au plus bas de l’échelon de l’humanité. Et, au sommet de l’église, le pape a le même idéal évangélique que moi. Je l’ai invité à venir dans mon village, il m’a fait un grand sourire. J’ai compris qu’il viendrait.
Après votre série de conférences, vous prenez un peu de repos avant de repartir ?
Quand vous avez dans votre cœur l’amour des plus pauvres, j’agis toujours et je ne peux jamais être en vacances. Même quand je suis en Europe. Je retourne après voir ma famille en Argentine avant de rentrer, début août, à Madagascar.
Une conférence avec le cœur
Le Père PEDRO a pu expliquer sa cause à toutes les personnes qui avaient fait le déplacement. Après la projection d’un documentaire sur les actions qu’il mène à Madagascar, il a pris la parole pour expliquer plus en détail le quotidien sur l’île. Ce qui le préoccupe le plus, au-delà de la misère de la population, c’est la corruption des politiques du pays. « Il n’existe pas malheureusement de comprimés miracles pour faire disparaître cela. » En réponse, c’est tout un peuple solidaire et digne qui travaille. « C’est l’esprit de la personne qui nous pousse à aller de l’avant, pas l’argent ni le pouvoir de l’homme. » Il raconte les sollicitations pour emmener les femmes à accoucher à la maternité la plus proche en voiture, étant le seul chauffeur ou bien encore une attaque par une bande armée venue pour piller le village. Il raconte aussi sa peur face à la peste qui a décimé 200 personnes récemment.
Le Père PEDRO est aussi revenu sur sa jeunesse en Argentine et son éducation, rappelant que son père, maçon, lui a appris à savoir travailler de ses mains. Et, à 17 ans, tous deux ont construit une maison pour les pauvres. La suite on la connaît, c’est cet engagement à Madagascar depuis des décennies, un sacerdoce partagé avec le public attentif aux propos du prêtre insurgé.